A propos de l’influence majeure de Macoto Takahashi sur le Shōjo manga
Bien qu’il soit surtout connu pour ses illustrations de filles au style décoratif hérité de l’esthétique du jojōga d’avant-guerre, Macoto Takahashi, influencé par les peintures lyriques de Junichi Nakahara, Kayoi Takahata ou Yumeji Takehisa, tient une place de premier ordre dans l’histoire du manga. Spécialisé dans les illustrations de couvertures de magazines pour jeunes filles comme Les Fleurs (Hana – 花) au début des années 50, il fera un court mais décisif passage dans le Shōjo manga de 1953 à 1963. Il reviendra ensuite à l’illustration au travers d’une multitude d’articles de papeterie. Si Takahashi ne s’est consacré au manga qu’une dizaine d’années, il n’en est pas moins considéré comme le père du Shōjo manga moderne.
Je visais un nouveau style de manga Shōjo, et indépendamment de la disposition des panneaux du manga, j’ai composé les pages en regard et les ai dessinées comme je le souhaitais à la manière Shōjo…
Comme beaucoup, il débute sa carrière de mangaka sur le marché du manga de location avec Princesse esclave (Dorei no ōjo – 奴隷の王女) chez Enomoto (榎本法令館よ) en 1953. Sa première œuvre marquante, Paris-Tokyo (パリ~東京), publiée en 1956, est une sorte de prélude à sa remarquable série Tokyo-Paris qui parait à partir de 1958. Au cours de l’année 1957, il produit plusieurs histoires courtes pour le magazine Shōjo des éditions Kōbunsha : Mer de chagrin (Kanashimi no Hamabe – 悲しみの海べ), Le cygne de Tokyo (Tōkyō no hakuchō – 東京の白鳥), Maudite Coppéllia (Norowareta Copelia – のろわれたコッペリア) en décembre 1957, sans oublier l’incontournable Les allées de cerisiers (Sakura namiki – さくら並木). Ces histoires courtes sont les prémices de ce qui redéfinira le Shōjo manga.
Entre 1958 et 1959, dans le même magazine Shōjo, le mangaka publie deux œuvres majeures, prolongements direct des histoires éditées en 1957. La première, Au-delà de la tempête (Arashi o koete – あらしをこえて), dont la parution débute en janvier 1958, sera immédiatement suivie de Tokyo-Paris (東京~パリ), scénarisé par Seiichi Haruna et publié de juin 1958 à décembre 1959. Au travers de ces deux séries, Takahashi affirme le style graphique du sutairu-ga (スタイル画), dont l’objectif décoratif magnifie les émotions des personnages, approche graphique qu’on trouvait déjà dans les œuvres éditées en 1957. Ce style s’oppose radicalement aux techniques narratives de Tezuka, dont la référence Princesse Saphir (Ribon no kishise – リボンの騎士), publiée entre 1953 et 1956 dans le magazine Shōjo Club, se concentrait essentiellement sur l’action des personnages dans un gaufrier des plus sages.
Au-delà des images de fleurs, de rubans, de chapeaux, de jupes à ourlet flottant et de jeunes filles aux grands yeux innocents, caractéristiques du Shōjo, Yukari Fujimoto souligne dans son étude, l’importance des portraits chez Takahashi. A l’issue de recherches sur les magazines pour filles des années 1950, Fujimoto conclut ainsi que l’histoire Au-delà de la tempête, serait le premier manga à présenter une mise en page originale accompagnée d’autres éléments graphiques qui différencieront définitivement le Shōjo du shōnen. Parmi ces éléments citons le découpage libre et irrégulier de la planche, la fusion des cases en strips, les portraits, souvent en pied, qui, superposés aux cases, peuvent en traverser plusieurs, sans oublier les grands yeux bientôt étoilés des diverses héroïnes, marque de fabrique de Mocoto Takahashi.
La mangaka Miyako Maki s’inspirera du travail de Takahashi et fera partie de la toute première vague d’artistes qui adopteront son style, avec la publication de Trois filles (Shōjo san’nin – 少女三人) en août 1958. Ce renouveau impulsé par Takahashi va rapidement s’imposer dans le Shōjo au travers d’innombrables histoires dessinées et écrites par des femmes. La plus connue en France est Yumiko Igarashi qui dessine l’histoire d’une petite fille aux taches de rousseur, Candy Candy, écrite par Keiko Nagita (sous son pseudonyme Kyōko Mizuki). Cet incontournable Shōjo sera publié à partir de 1975 dans le magazine Nakayoshi des éditions Kōdansha. Takahashi dessinera encore deux histoires entre 1960 et 1962, Princesse Anne (Purinsesu An – プリンセス・アン) et Petit La (Puchi ra -プチ・ラ), puis cessera le manga, considérant les femmes plus aptes à retranscrire les émotions d’héroïnes qu’il ne pouvait le faire lui-même.
La maison de couture japonaise Comme des Garçons a présenté une grande robe imprimée de l’une des filles emblématiques aux yeux étoilés de Takahashi pour sa collection printemps-été 2018. Plusieurs des œuvres mangas de l’artiste sont aujourd’hui conservées et présentées au Kyoto International Manga Museum.
A propos de Macoto mangaka
Si quelqu’un me définissait comme mangaka, je l’accepterais puisqu’au départ j’écrivais des mangas. Et puis j’ai commencé à vendre mes dessins car ils étaient populaires. Beaucoup de gens ont vu mes œuvres dans des magazines et différentes publications. Plusieurs groupes de merchandising sont alors venus vers moi et m’ont demandé si je pouvais dessiner des choses similaires. J’ai accepté et aujourd’hui, je dessine essentiellement des illustrations de style Shōjo. Donc, si quelqu’un me demande si je suis un mangaka, je répondrai : Je dessinais des mangas. Ce sera ma réponse car je ne suis pas pointilleux.
En savoir plus sur l’histoire du Shōjo manga
Yukari Fujimoto, Takahashi Macoto : The Origin of Shōjo-Manga Style, Mechamedia, vol.7, University of Minnesota Press, 2012
Deborah Shamoon, The formation of postwar Shōjo Manga, 1950–1969, in Passionate Friendship : The Aesthetics of Girl’s Culture in Japan, Université d’Hawaï, 2012
Masafumi Monden, Shōjo Manga Research: The Legacy of Women Critics and Their Gender-Based Approach, University of Sydne, mars 2015
Naoko Morita, Qu’est-ce que le shōjo manga ?, neuvieme art 2.0, Cité internationale de la bande dessinée et de l’image, janvier 2021