Dickie Au Musée – Le regard d’un gentil iconoclaste sur le » Grand Art « …
Belge néerlandophone, Pieter De Poortere pratique ce qu’on pourrait appeler une » ligne claire » appuyée… Un dessin tout en courbes, des contours extrêmement prononcés tant pour les personnages que pour les décors, un découpage de gags en une page tout à fait classique… Tout cela se révèle d’une belle efficacité de lecture, tant il est vrai que cette simplicité pousse le lecteur, en quelque sorte, à voir tout de suite l’ensemble du dessin, et, ensuite, d’y trouver tout aussi vite l’élément perturbateur, celui qui, justement, porte à rire, à sourire… Quant à ses scénarios, muets, ils vont à l’essentiel, eux aussi, grâce à la gestuelle plus qu’aux expressions.
Quant au contenu, au-delà même des » gags « , ce livre est extrêmement ludique. Parce chaque planche est consacrée à un tableau, bien précis… Et que tout cela ressemble presque à un jeu de piste qui entraîne le lecteur dans le monde de l’art, mais qui le fait en usant d’un miroir déformant… C’est un peu comme si, avec Dickie, De Poortere nous racontait l’histoire qui se cache derrière des tableaux emblématiques de la grande Histoire de l’Art majuscule. Picasso et Guernica, la Vénus de Milo et sa nudité, Magritte, Hopper ou Man Ray, tous ces artistes et leurs œuvres perdent en sérieux, dans cet album… Mais ils le font avec une sorte de tendresse iconoclaste ET respectueuse qui rend hommage plus qu’elle ne détruit. Une manière comme une autre de nous dire qu’il y a mille et une manières de regarder une œuvre d’art, comme il y a mille et une manières de sourire et de rire !
Jacques Schraûwen
Dickie Au Musée (auteur : Pieter De Poortere – éditeur : Glénat)
Surtout, ne vous laissez pas prendre par l’air débonnaire de Dickie. Ce « petit paysan » belge (traduction de son nom « Boerke » en flamand) tout en rondeur avec sa large moustache et ses grands yeux est loin d’être inoffensif. Il est borné, lâche, dépressif, et un tantinet obsédé. Et très trash.
Ce Dickie ne respecte rien, y compris l’art, qu’il vient saboter dans « Dickie au musée », tout juste paru chez Glénat. Dès la couverture, Pieter de Poortere donne le ton. Sous le regard courroucé des autres visiteurs, il se prend en selfie devant « l’Origine du monde » de Gustave Courbet. De l’art pariétal à Dali en passant par la tapisserie de Bayeux, pas une époque, pas un style, n’échappe au massacre.
Belgitude oblige, il accroche un panneau « Fumer tue » sous le tableau « La trahison des images » de Magritte, qui proclame « ceci n’est pas une pipe ». Le célèbre retable à l’agneau de Van Ecke en prend également pour son grade, tout comme Jérôme Bosch qui se voit propulsé père des Pokémons. C’est souvent cynique, parfois grossier, toujours iconoclaste et très drôle.
FER DE LANCE DE LA BD FLAMANDE
Pieter de Poortere s’attaque avec délectation à ce thème comme il l’avait fait précédemment avec les contes de fées dans « Prince Dickie » ou le cinéma dans « Dickie à Hollywood ». Ses histoires sans paroles font mouche, car si le pataud Dickie commet bourdes sur bourdes, il provoque également un plaisir très « sale gosse » chez son lecteur.
Ce décalage entre des histoires qui commencent apparemment de façon très classique et des chutes aussi féroces qu’absurdes, servi en outre par un dessin faussement naïf, rend l’exercice éminemment subversif. Pieter de Poortere, raconte qu’il est régulièrement interpellé par des parents ayant acheté un album pour leurs enfants, sans le lire… et qui le rapportent à la librairie illico.
Méconnu en France, Dickie a pourtant fait l’objet d’une exposition à Angoulème en 2009 et lors du festival Quai des Bulles de Saint Malo. En Belgique, Pieter de Poortere est considéré comme l’un des fers de lance de la nouvelle bande dessinée flamande, récemment mise à l’honneur par le Centre Belge de la BD.